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poematique expiraTOIre

Le ciel des Capitaines/ 6

Un vieux fou, un voyage, de l'amour, de l'amitié...

`6. Où Tobie découvre la très petite Suisse...

 

 

Un train quitte Bâle pour Lausanne toutes les heures. Tobie s’arrête au Buffet, chaises et tables éparpillées jusqu’en marge des quais. Le déplacement est derrière lui, ces longues heures passées à traverser les Pays-Bas puis l’Allemagne. Maintenant ça y est, il est là où il a voulu se rendre. Louper une correspondance, faire fausse route, qu’importe. Dans ce mouchoir de poche qu’est ce pays, il s’y retrouvera toujours. Il imagine même se rendre à Lausanne en taxi. Pourquoi pas. Les six cents euros que le chauffeur lui demande le font hésiter. Tout de même… On peut s’offrir bien des repas, bien des cadeaux avec une telle somme. Il dit OK. Je reviens. Puis monte dans un train à deux étages en partance pour l’autre côté du pâté de maisons, Lausanne donc.

On choisira plutôt des plans serrés. Visage, mains, pas. S’approcher de Tobie, par petites touches. Discrètes et non intrusives. Prendre parfois son siège. Essayer d’entrer un peu dans son corps. Le rendre familier. Sans pour autant se mettre à sa place. Simplement l’apprivoiser. On incrustera le pays entre ces approches ; il fera écho. Découvrir la densité des habitations et puis le manque d’urbanisme. Sortir des clichés touristiques et de la richesse helvétique. Quartiers d’immeubles locatifs, banlieues commerciales, champs cultivés. Parfois, un éclat d’une beauté surprenante.

Pas de place réservée mais en première classe, il n’y a guère de passagers. De confortable sièges, des tablettes de travail, le Wi-Fi, tout semble se démarquer d’un petit plus luxueux qui ne dérange pas notre voyageur. Le train quitte la ville franchissant des quartiers d’immeubles et de petites HLM avant de longer de vastes zones d’usines, de dépôts, de garages ou de centres commerciaux. La ville semble n’avoir pas de limites. À peine quelques respirations de verdure, de forêts ou d’étangs que déjà de nouvelles habitations, de nouveaux ensembles de villas, d’autres usines, d’autres friches industrielles.

— Bigre ! Je ne pensais pas Basel si étendue...

Ce n’est qu’après avoir franchi un long tunnel qu’il comprend que ce n’est pas l’agglomération qu’il vient de traverser mais plusieurs cités et villages, si rapprochés qu’on ne peut qu’hésiter sur leurs limites. La Suisse ressemble à une mégapole percée d’espaces verts aux habitations plus clairsemées.

— Je peux bien chercher... Partout, des nids de maisons ! Les Suisses sont tous des citadins au fond, certains sans exploitations agricoles et d’autres avec !

Tobie regarde ces champs de trois ou quatre minutes de tours de bielles, cherchant à repérer cette fameuse beauté qui fait la réputation touristique de la Suisse. En fait, cette jolie plaine bocagère est gâchée par une bâtisse insipide, ce coin de forêts entaillé par des locatifs immondes. Une usine et ses alentours emplis de ferraille longe une rivière idyllique. Une cité médiévale sur une colline semble toute broutée de villas hétérogènes et sans génie. Quelle déception ! Dans le lointain, les Alpes dessinent une courbe de température agitée sur le ciel, un horizon de dents plus ou moins blanches, un peu comme ce qui lui reste en la matière. Tobie n’aime pas les montagnes. Il en a des souvenirs d’absence d’air, des souvenirs de pompe défectueuse et de séjour hospitalier dans une région où les médecins osent s’appeler Bonvin ! Il n’aime pas ces routes en lacets, ces parkings en pente, ces démarrages en côte juste après avoir dû reculer une centaine de mètres le long d’une falaise pour laisser passer des autocars énormes, agiles comme des chamois, fonçant avec leur chargement de gens hilares et moqueurs. Il n’aime pas les Alpes qui font ce pays si beau aux yeux du monde. Le plateau, quant à lui, est d’une banalité commune à bien d’autres terroirs, une banalité proprette cependant, un art de la netteté dans l’insipide même. Ça au moins, ce n’est pas si désagréable.

 

*

 

 

Dans deux heures, Tobie parviendra au terme de son expédition. Il consulte son iPhone pour s’en assurer, avant de se laisser aller à observer les gens, ces Suisses qui voient naitre le Rhin, ces Suisses dont il pense qu’ils ont quelque chose en commun avec les Néerlandais. Ces derniers limités par la mer, confinés dans des espaces inondables. Serrés sur des terres à reconquérir sans fin. Les Helvètes et ces vagues de granit énormes, enfermés dans un territoire étroit. Les deux peuples ont le goût du travail ou de l’argent et malgré les superficies ridicules de leur nation, ils se sont fait une place enviable dans le monde. Tobie pense que les Confédérés aiment les langues qu’ils parlent avec facilité. Et puis encore les vaches, le fromage, l’agriculture… Tobie trouve mille raisons de rapprocher ces deux pays. Il aurait juré que le Rhin qui meurt ne peut renier le Rhin qui nait et vice versa. Un fleuve les relie, une eau de vie, une eau de richesses.

On photographiera Tobie debout, qui ne fait rien. Il reste droit, prend la pose. Une image de pied en cap. Pareil. On procédera de même avec les passagers de son wagon. L’un après l’autre. Tirer le portrait de chacun. Le globe-trotter fait souvent comme ça quand il voyage dans des pays lointains. Il cherche à fixer l’âme des races. Les Tibétains, les Mongols, les Sibériens, les Peuls...les Suisses.

Le Hollandais est grand. Il est blond le plus souvent, sportif, ouvert et à l’aise dans n’importe quelle situation. La femme hollandaise est sculpturale, belle, lumineuse et libre. Naturellement il y a des exceptions. Mais, demandez à n’importe qui de vous faire un portrait-robot du Néerlandais type et vous entendrez quelque chose d’approximativement similaire.

— C’est quoi un Suisse...

Tobie considère ses voisines, deux femmes, plutôt petites. L’une âgée, pesante et sans signe particulier de beauté. Le cheveu travaillé en petits rouleaux permanentés, il est bleuté. Une rangée de perles orne le cou. La jeune porte des cheveux courts, une coupe étudiée sans doute puisque à droite, c’est rasé et à gauche, une mèche flotte sur un œil très maquillé et noir.

— Pas sûr que ce soit le modèle suisse, ça

Un rang derrière, un homme impossible à décrire, c’est le privilège de l’ordinaire absolu que d’être indescriptible.

— Peut-être celui-ci...

Ce type lui paraît, même assis, avoir une belle carrure. Torse surdéveloppé, ça sent le muscle, le gros biceps et la force tranquille d’un éleveur de taureaux. Il est roux avec une barbe naissante et a des pognes impressionnantes qu’il serre fortement contre sa poitrine comme pour empêcher son cœur de bondir hors de sa cage.

— Bel exemplaire de la race alpine...

Un instant plus tard, quatre militaires en tenues de camouflage, bottes et ceintures avec poignards, passent en rigolant. Un noir semble écrire près de la porte coulissante. Un autre vieillard comme lui tient un chapelet dans ses mains et enfin la préposée au servir boy est une délicieuse blondinette aux guiboles énervées, toute prête à marteler une tape dance sur la moquette. Le peuple helvète a décidément des variations de figures empêchant de la définir. Tobie le sait bien mais il a envie de se tromper et pouvoir garder dans ses futurs souvenirs une image idéale de l’habitant.

— Ca ne va pas être commode de raconter le profil du confédéré à Evelyn !

Visiblement le Suisse est un peu un Allemand et puis un peu un Français et sans doute aussi un Italien. Du brouet, dont la recette lui échappe. Et pour achever le portrait qu’il se fait de l’autochtone, le premier contrôleur du jour apparaît alors à l’entrée du wagon.

— Fahrkarten, Bitte ! Titres de transport…

— Dois-je changer encore de train ? demande Tobie.

— Vous arriverez à Lausanne dans une heure trente. Vous parlez fort bien le français, bravo. La prochaine gare, c’est Fribourg. Bon séjour chez nous.

L’homme est grand, blond avec un air de sportif de haut niveau !

 

*

 

 

Fribourg. Oui. Tobie entre maintenant en pays de connaissance. Il essaye d’apercevoir cette ville qu’il avait vaguement visitée, il y a quelques années mais la voie ferrée est creusée entre des talus. Cette fois, il approche du but. Il s’enfonce dans son siège, appuyant sa tête contre la vitre et croisant ses longues jambes. Toute la journée, il a essayé de ne pas y penser mais maintenant, il ne peut y échapper. Le terme du voyage approche. Il ferme les yeux.

On ira dans la cabine du conducteur de train. Voir le paysage. Profiter de la sensation de la vitesse au moment où l’on entre dans un tunnel. S’enfoncer dans la nuit avec Tobie, instiller un nouveau souvenir. Flash-back.

Le village n’avait pas de centre. Quelques maisons, quelques fermes partaient en étoile d’une grande bâtisse rose, l’école, qui avait été construite à la croisée des routes. Un endroit idéal pour déployer un exercice militaire, la mise en scène de l’affrontement de deux armées pour prendre possession des lieux. C’était une époque où les soldats faisaient des simulations de guerre avec balles à blanc bruyantes, où des bataillons devenaient envahisseurs ou défenseurs durant des semaines, afin de mettre en place des stratégies pour ces lendemains inévitables où les communistes attaqueraient. Tobie se revoyait, vêtu de cet uniforme en tissu épais et rêche alors qu’il n’était encore qu’un jeune soldat, armé d’un fusil au manche de bois et montant la garde devant le Q.G. des gentils, la belle maison rose dans laquelle ses chefs, lieutenants et capitaine, mettaient au point leur plan de défense. Les radios avaient annoncé une tentative de l’ennemi pour entrer dans la zone car des chars à bannières rouges étaient signalés. Tobie veillait parmi des mitrailleurs cachés derrière des sacs de sable. Des hommes avaient pris possession du toit. Soudain, il entendit un bruit de métal sautillant sur le carrelage. Une grenade ? Il avait crié avant de voir une petite tasse en métal s’échouer dans un angle du vestibule. Une fillette le regardait comme pour obtenir sa permission de récupérer sa dinette. C’est à ce moment précis que la guerre avait éclaté. La gosse s’était mise à crier épouvantée et pleurant, tétanisée. Tobie l’avait saisie pour qu’elle remonte se cacher là-haut, où il n’y aurait pas de bataille. Apparition d’un effroi vrai dans une partie où les hommes trichaient. Cette parodie avait duré des heures, tout le jour sans doute. Son camp avait réussi à repousser l’attaque, des prisonniers dormaient ficelés sur le sol du corridor. C’était son premier jeu de rôle militaire.

Le lendemain, le soleil était là. Le village avait retrouvé son naturel. Les soldats attendaient dans la cour. Tobie était assis sur les marches qui menaient à la porte principale de l’école quand la petite était venue. Elle l’avait regardé intensément. Et apporté une pomme. Une pomme d’amour. Elle s’était assise avec lui pendant qu’il mangeait, grave et silencieuse. Une enfant, une enfant pour le faire douter et le faire quitter l’armée, plus tard.

— Avec un tablier qui arrondissait sa silhouette et puis cette frange de cheveux coupés net, noirs…, il me semble. Oui, sans doute a-t-elle toujours présidé à mes choix.

*

Sortie du tunnel. Plongée sur le lac Léman avec un changement d’ensoleillement. On est à la tombée de la nuit, l’indicateur idéal pour comprendre la longueur du voyage. De l’aube au soir venu. On observera Tobie de face s’activant, nerveux. On lui suggérera discrètement d’ouvrir son ordinateur. Pour l’apaiser.

Dans ce crépuscule, le lac est une tôle d’acier brillant sous le fil du soleil couchant. Les vignes toutes tressées de ceps, les montagnes en face plongeant dans l’eau absorbent un instant Tobie avant qu’il ne sorte son laptop de sa housse et se connecte. Google Maps lui montre le plan de la ville lémanique, des vues de la gare où il va bientôt descendre et le rivage du Léman, les parcs, les musées.

— Quel bel endroit ! Parfait et maintenant vérifions si j’ai quelques messages. Voyons voyons... En effet mes fidèles sont passés... Ah ! Voici la confirmation de ma réservation d’hôtel avec un descriptif de la chambre et puis encore celle de l’auberge retenue pour les deux nuits suivantes. Super deluxe !

Il aime que tout soit organisé, que tout roule et qu’il n’y ait pas de contre temps. Il rédige alors, un bref courrier pour Evelyn.

Le message s’écrira sous les yeux. En partie.

Mijn Liefste,

J’arrive en ce moment à Lausanne. Le voyage s’est très bien déroulé. Mon hôtel m’attend. Je ne t’ai pas expliqué mais sache que je ne pouvais pas agir autrement. Quand je reviendrai, tu comprendras que mes raisons étaient bonnes. Ne te fais pas de soucis.

Tobie.

 

à suivre

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