vous le raconte, à vous lecteurs, parce que ce sont des choses qui peuvent bien -n'est-ce pas?- brûler en vous comme une autocombustion, destructrice, et qu'il est bien peu humain de devoir le vivre sans épaule pour recueillir ce chagrin. c'est comme une lettre vers vous, pour m'alléger. prenez-la.
ça y est. le clignotant du téléphone ne va plus s'arrêter. il va battre des cils comme ça dans mon couloir jusqu'à ce moment qu'il faudra bien me décider à vivre.
je m'y attendais, j'y pensais depuis longtemps, plus d'une année peut-être mais l'instant a tardé, avec bonté, avec patience oui, il a tardé à venir, à se mettre au travers de ma gorge et me contraindre. pourtant ça y est. il va falloir le faire. la bande enregistrement du téléphone est pleine et je vais devoir l'effacer.
je n'ai pas reçu beaucoup de messages, non. vraiment bien peu: le premier date de février ou mars 2011. et c'est sa voix. il me parle, me dit peu de choses mais c'est le son de sa voix, son timbre, son humour, cette moquerie familière, qui traversait l'espace. qui traverse le temps et la mort maintenant. sa voix qui annonce encore et toujours qu'il rappellera, qu'il va rappeler. cruauté de hasard. oui en effet, le rappel a battu cent fois sûrement depuis. oui, il se rappelle sans fin à moi, voix gravée sur la bande pour un impossible oubli, une mort réfutée, le lien qu'on ne peut abolir. ces coups de fil remparts ultimes contre l'abrupte disparition.
je vais devoir me décider. presser le bouton "erase", faire disparaitre mon histoire, envoyer l'ami dans l'éternité, l'amour dans l'intouchable silence qui m'est si douloureux. je vais devoir le bannir, le gommer de ma vie, l'achever, d'un doigt sur la gachette.
me sens dans la peau d'une assassin. je m'inflige une perte de plus, je coupe le pont de l'épée. il va partir d'un mouvement vers le tas de mes oublis. sa voix que je réécoutais parfois pour le bonheur de cette présence insubmersible..devenue silence.